Capture d'écran de l'article de La Presse du 27 février 2019

Clinique de la douleur : ça aura pris 5 ans et les médias!


Aux environs de 2005, mon médecin de famille de l’époque a tenté de me référer à une spécialiste de la douleur (j’oublie à quel hôpital). À l’époque, je n’avais pas de diagnostic, excepté « hyperlaxité ligamentaire congénitale », mes nombreuses blessures et une possible arthrose des genoux. J’avais aussi des migraines.

Après une attente de plusieurs mois, on nous avait répondu qu’ils avaient une trop grande demande pour me recevoir, car je n’avais rien qui justifiait d’être vue dans une clinique de la douleur. On ajoutait que l’hyperlaxité, ça ne causait pas de douleurs (…sans commentaire). Ça s’est donc arrêté là, et je suis restée longtemps sur l’impression qu’on refuserait de m’aider dans tous ces types de cliniques.

2014 : première demande au CHUM

En 2014, mon généticien a fait une demande pour que je sois vue à la clinique de la douleur du Centre Hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). C’était essentiel à ses yeux. Non seulement j’avais de la douleur chronique depuis l’enfance à cause du syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, et de plus en plus vu l’accumulation de blessures, déchirures ligamentaires, chirurgies… mais j’avais aussi les migraines, et je commençais à avoir des symptômes de douleur neuropathique. J’avais aussi déjà essayé de nombreux médicaments antidouleur au fil des années, donc mes médecins se sentaient plutôt démunis.

2017 : trois ans plus tard

On m’a avisé que l’attente pouvait être de 2 à 3 ans avant d’être vue. Comprenant les limites du système, je n’ai même pas contacté la clinique avant que ça fasse 3 ans. Donc, j’ai appelé en mai 2017. Je n’ai même pas tenté d’accélérer les choses avant ça.
On m’a répondu que c’était normal (même si la réceptionniste a démontré de l’empathie et du découragement devant mon attente très longue), et que, comme c’était 2 à 3 ans et que ça faisait 3 ans… on m’appellerait sûrement d’ici peu.

Suite à mon diagnostic de neuropathie des petites fibres, mon neurologue a décidé à l’automne 2017 de faire sa propre demande à la clinique de la douleur du CHUM.

À la fin 2017, comme plusieurs autres personnes atteintes d’un syndrome d’Ehlers-Danlo, j’avais contacté le Protecteur du citoyens en lien avec l’accès aux soins quand on a une maladie rare au Québec.
On m’a fortement suggéré de faire une plainte au CHUM en lien avec l’attente (et suggéré de faire d’autres plaintes ailleurs, une par problème, en fait). J’ai appris plus tard que la plainte en question avait plutôt été traitée comme une « demande d’information. ».

En suivi de cet appel, la commissaire aux plaintes m’a informée que qu’une longue attente était normale, car la demande était élevée, et qu’on priorisait deux types de cancers et le zona. On m’a dit que j’étais classée « niveau 3 », de 5 niveaux. J’ai compris que j’attendrais encore longtemps, puisqu’il était juste logique que des demandes pour ces autres problèmes de santé continuent de s’ajouter. Donc je restais au milieu de la pile, les anciennes demandes plus pressantes étant sans cesse remplacées par de nouvelles!

Je me suis bien sûr fait dire que de faire une plainte n’allait pas changer le délai d’attente ni la priorisation de mon dossier, que les critères étaient établis, etc. J’aurais plutôt voulu une réévaluation! Mais non. On ne m’a qu’informé sur leur fonctionnement.

2018 : les requêtes s’accumulent

En mai 2018, j’ai rappelé la clinique. On m’avait dit « sous peu » et ça faisait déjà un an! Mais je suis tombée sur quelqu’un qui m’a juste dit qu’une longue attente était normal et qu’on m’appellerait le temps venu.

À l’automne 2018, puisque j’avais commencé à avoir des douleurs inflammatoires en plus du reste, que les injections pour mes douleurs au dos ne fonctionnaient pas et que je m’étais évanouie de douleur plus d’une fois, mon physiatre m’a dit qu’à son avis, j’avais fait le tour des antidouleurs que lui ou le spécialiste moyen pouvait prescrire, que j’avais probablement besoin d’un combo ou de thérapie innovante… ce qui dépassait ses capacités. Il m’a donc, lui aussi, référé à la clinique de la douleur du CHUM…

Autant le neurologue que le physiatre savaient très bien que j’attendais depuis des années. Ils espéraient que l’accumulation de requêtes ait un impact, demande une réévaluation, ou que l’ajout d’information/diagnostics au dossier change ma priorisation.

Toujours en 2018, mon généticien a refait une deuxième requête, dans l’espoir d’une réévaluation qui me ferait enfin passer.

En décembre 2018, alors que j’avais des calculs biliaires (sans le savoir) et donc des crises biliaires chroniques et que j’avais plusieurs ligaments déchirés à la cheville gauche, en plus de tous mes problèmes habituels, j’ai supplié mon médecin de famille d’intervenir. Il a téléphoné, et s’est fait dire que ma requête suivait son cours, qu’ils ne pouvaient pas changer la priorité « juste parce qu’un médecin le demande », et que, sûrement, j’aurais rendez-vous au cours de 2019, mais pas avant l’été. Donc j’aurais attendu plus de 5 ans!

2019 : la pression monte

J’ai contacté une journaliste de La Presse fin 2018 et une autre du même journal en janvier 2019, pour commenter des chroniques sur la difficulté d’accéder aux soins, et je leur ai expliqué ma situation et celle des personnes atteintes de maladies rares en général. La seconde journaliste a transféré mon histoire à une collègue, Caroline Touzin, qui m’a demandé quelques semaines plus tard si j’accepterais d’en faire un reportage.
Vu la proximité de la journée internationale des maladies rares, j’ai accepté, dans l’espoir d’en faire parler un peu… Et bien sûr, même si ce n’était pas mon but en les contactant, j’avais aussi un peu l’espoir de changer la situation!

La journaliste a évidemment contacté la clinique et mon médecin de famille pour avoir leur version des faits et confirmer ce que je racontais.

À la clinique de la douleur, on lui a expliqué que des priorités étaient attribuées et que j’avais la priorité 3 sur 5, comme on m’avait dit. Mais on n’a pas voulu commenter mon cas particulier et ne lui a donc pas dit pourquoi je n’avais pas une priorité plus élevée malgré mes problèmes de douleur dont certains sont reconnus comme tout aussi douloureux que les problèmes de santé prioritaires… ou pourquoi l’ensemble de ma condition de santé n’était pas prise en compte (a.k.a. les effets de la douleur sur mes autres problèmes… ni pourquoi ma priorité n’avait pas changé avec les nouvelles requêtes et l’accumulation de conditions douloureuses. On lui a aussi indiqué qu’un cas semi-urgent était vu dans les 6 à 12 mois. La présidente de l’Association québécoise de douleur chronique, aussi contactée pour le reportage, a mentionné qu’une longue attente était malheureusement courante, mais que 3 ans était rare et beaucoup trop long!
…à quoi j’ai la question (toujours sans réponse) : pourquoi alors attendais-je depuis 5 ans?

En février 2019, mon gastroentérologue, pour qui il était important que je souffre moins, car plus je prends d’antidouleurs, pire mes problèmes digestifs, était vraiment fâché qu’on me fasse autant attendre. Parce que ce n’est pas qu’une question d’endurer de la douleur, mais de ma santé générale qui se détériorait, par la nécessité de la médication, mais aussi les effets d’une telle douleur sur le système. Ça augmentait ma pression sanguine et mon pouls, par exemple, ce qui augmentait mon risque cardiovasculaire lié au SED.
Il m’a dit qu’il allait essayer d’en parler à un collègue responsable de la clinique de la douleur dès le lendemain.

Hypothèses

Je pense que j’ai compris ce qui se passait. J’avais des maladies rares (syndrome d’Ehlers-Danlos, neuropathie des petites fibres, gastroparésie). Donc la personne responsable de l’attribution d’un code de priorité ne comprenait vraisemblablement pas la sévérité de mon état. Ou, plus probable encore, ils ne se fiaient qu’à une grille de diagnostics, dont évidemment les miens ne feraient pas partie (sauf les migraines).

Possible aussi (simple conjecture), qu’avoir des conditions chroniques, depuis longtemps, avec lesquelles je m’arrangeais depuis des années, signifiait aux yeux des responsables que je pourrais encore attendre et continuer de m’endurer.
Je me demande aussi si mon dossier a été réévalué lors des nouvelles requêtes, ou si on faisait seulement noter que j’étais déjà sur la liste sans évaluer le dossier. Du type « Ah oui, madame a déjà une demande dans le système, pas besoin de rien faire », avant de passer au dossier suivant.

Je me suis vraiment demandé si le fait que je « m’arrangeais » a joué contre moi. Je pense que c’est évident pour quiconque lit mon blogue depuis des années, je ne consulte jamais uniquement pour une douleur. Les urgences parce que la douleur est intolérable, ce n’est pas moi. Quand j’y vais et que j’ai mal, c’est parce que je crains que la douleur soit un signe d’un problème urgent (par ex. appendicite). Sinon, j’ai plutôt tendance à juste endurer, même jusqu’à l’évanouissement! Étant convaincue que le soulagement ne sera que passager, ou qu’on ne me prendra pas au sérieux, me traitera comme une addict, et quoi encore, je ne vois pas l’intérêt. Comme j’ai vécu si souvent même lorsque je ne demandais rien pour la douleur.

Mais si en regardant mon dossier, on voyait que j’avais consulté chaque semaine pendant des mois pour la douleur, est-ce qu’on m’aurait donné rendez-vous plus vite?

Enfin!

Suite à l’appel de la journaliste en préparation à son article, ou peut-être était-ce l’intervention de mon gastroentérologue… quelle coïncidence, la clinique de la douleur m’appelait pour m’offrir un rendez-vous le lendemain, car « il y avait eu une annulation ». Je n’y ai pas cru. Mais j’ai sauté sur l’occasion, évidemment!

Capture d'écran de l'article de La Presse du 27 février 2019
Article du 27 février 2019, La Presse

L’article est paru le 27 février… et le jour même j’avais mon premier rendez-vous! Après avoir donné une entrevue au 98.5FM en prime! J’avais assez peur de ne pas être la bienvenue… mais ce n’était pas une crainte justifiée, heureusement! J’y reviendrai!

Après cinq ans d’attente, quatre requêtes de trois médecins différents et l’intervention de deux autres, il semble que ça aura pris les médias, malheureusement, pour être vue.

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