Je l’avais dit que j’aurais du matériel pour plusieurs posts à propos de l’ignorance des médecins! …malheureusement.
Continuons les anecdotes:
Vers mes 16 ans je me suis déchiré le ligament croisé antérieur (ACL) du genou droit. Ça a pris plusieurs mois avant d’obtenir le diagnostic… Je me suis retrouvée aux urgences le lendemain matin de la blessure… où on m’a fait l’habituel rayon-X, qui évidemment n’a rien trouvé. Puis on m’a donné rendez-vous avec l’orthopédiste de l’hôpital quelques jours plus tard. Quand je l’ai vu il y avait beaucoup d’enflure, je ne pouvais pas plier mon genou complètement (ni le déplier complètement), ni mettre de poids sur ma jambe. On m’a diagnostiqué une entorse, dit de continuer à prendre des béquilles pour marcher, envoyé en physiothérapie.
Après quelques semaines de physio sans résultat, j’ai revu l’orthopédiste… qui était sans mots. Il ne comprenait pas que je ne guérisse pas. L’enflure était partie, mais je ne retrouvais toujours pas ma motricité. Il faisait les tests habituels et ne trouvait rien d’anormal. Il m’envoya donc voir un collègue, à une heure de route (y a de ces moments où on regrette vraiment de vivre en région).
J’ai vu le nouvel orthopédiste… qui ne trouvait pas lui non plus… mais qui avait une petite idée… et qui nous a demandé si on accepterait de revenir le lendemain… il faisait une clinique conjointe avec un spécialiste, un des orthopédistes les plus connus du Québec! On était sensé se sentir importants… J’ai re-raté une journée d’école (ça me faisait plaisir), on a re-conduit une heure, et on a vu ce fameux médecin.
Qui, sous l’oeil intéressé d’une dizaine de médecins résidents et de l’orthopédiste de la veille, a fait une manipulation différente… et ô combien douloureuse, pour démontrer que mon ACL était déchiré! Ha! Ignorance des 2 précédents orthos.
Mais ça ne s’arrête pas là.
Ce super-orthopédiste n’a même pas noté mon hypermobilité… m’a enlevé une partie du cartilage lors de l’arthroscopie, sans même me le mentionner… et dans l’année qui a suivi, comme l’arthroscopie et d’autres examens faisaient état d’une déchirure partielle de l’ACL (tel que prévu par lui), il m’a mis sur la liste pour une chirurgie réparatrice… eh bien lors du rendez-vous suivant, quand je lui en ai parlé, il m’a demandé ce que je faisait sur cette liste, en me criant presque après, me disant que je n’en avais pas besoin puisque je n’avais qu’une déchirure partielle!
De plus, tout au cours de cette année, malgré ma grande amélioration suite à l’arthroscopie, j’avais des douleurs aux deux genoux… il me disait que ça ne se pouvait pas que j’aie encore mal au genou droit, puisque l’arthroscopie avait résolu le problème, et ma douleur n’étant pas vraiment à l’endroit de l’ACL… et je n’avais pas de blessure au genou gauche. Il semblait dire que je faisais semblant, que c’était dans ma tête.
Pas fort.
Au début des années 2000, j’étais suivie par un rhumatologue et j’avais à l’époque le diagnostic de syndrome de fatigue chronique… un beau diagnostic-poubelle qui ne veut rien dire et que les médecins utilisent quand ils ne trouvent pas ce dont souffre leur patient. Je ne veux pas dire que les personnes qui ont ce diagnostic ne sont pas malades. Je veux dire que ce n’est pas de ÇA qu’ils souffrent! Je ne connais pas une seule personne qui souffre de ça, par contre j’en connais plusieurs qui ont reçu ce diagnostic pour finalement obtenir une correction de diagnostic par la suite. Que ce soit Parkinson, sclérose en plaques, dépression chronique, maladie de Lyme, fibromyalgie… et j’en passe.Non seulement ce médecin a été incapable de diagnostiquer mon syndrome d’Ehlers-Danlos, même si je lui en ai parlé (sa réponse de l’époque? C’est possible que ce soit le SED, mais je ne m’y connais pas assez ») mais il a refusé de me prescrire le médicament que je prends maintenant, sous prétexte que je n’étais pas assez malade.
C’est après plusieurs années que j’ai compris que ce médecin était convaincu que le syndrome de fatigue chronique était un trouble psycho-somatique. Au départ je l’aimais beaucoup et me croyais validée parce qu’il ne jugeait pas. Effectivement, il ne jugeait pas. Pas plus qu’un psychiatre ne juge la validité des symptômes d’un dépressif.
Cela explique par contre pourquoi ce médecin refusait de me prescrire la plupart des médicaments que je suggérais ou sur lesquels je le questionnais, et explique qu’il doutait des traitements en physiatrie dont je parlais : il était convaincu que tous mes symptômes avaient une origine psychologique! Il croyait dur comme fer, sans me juger… que mes douleurs aux genoux avaient leur origine « dans ma tête », donc il était sûr que des injections de liquide synovial synthétique ne me soulageraient pas. Convaincu que mes faiblesses avaient une origine anxieuse, il refusait de me prescrire un médicament qui augmenterait ma pression sanguine, puisque ça ne fonctionnerait pas! (et l’examen qui prouvait mon faible volume sanguin et expliquait PHYSIQUEMENT mes évanouissements? Il semble qu’il préférait l’oublier).
Je me compte chanceuse que malgré tout ça, pendant des années il a rempli mes formulaires sans y indiquer son préjugé, et m’a prescrit des anti-douleurs plutôt que de m’envoyer chez le psy.
Remarquez que j’y ai été… mais pas sur ses conseils. J’y reviendrai.
C’est ce médecin qui, vivant plus dans ses préjugés et dans son monde que dans la réalité, me faisait passer le test pour la fibromyalgie presque à chaque visite. Pourtant je ne répondais pas du tout aux critères diagnostics, je lui parlais chaque fois de mon hypermobilité… et chaque fois il voyait bien que je ne souffrais pas de fibromyalgie (tout le reste, c’était bien suffisant!). Mais non, il avait cette idée fixe.
La dernière en date des ignorants est la généticienne qui m’a diagnostiqué. Eh oui, curieusement… on croirait que je lui en suis éternellement reconnaissante… ou qu’elle s’y connaît en syndrome d’Ehlers-Danlos. Mais non.
Ce n’est pas grâce à elle que je sais que j’ai le SED. Je l’ai trouvé toute seule, enfin, grâce au web. Et j’en ai convaincu (facilement) mon médecin de famille… mais pas ce spécialiste.
Si je n’avais pas fait mes recherches, si je ne me serais pas battue, je serais sortie de ce bureau en 2009 et je serais toujours sans diagnostic, ou avec celui de SFC, sans traitement… j’aurais encore besoin de ma chaise roulante et je n’aurais vraiment pas de vie.
Parce que, bien que spécialiste connaissant UN PEU le syndrome d’Ehlers-Danlos, ce médecin n’y connaît, en fait, pas assez pour poser un diagnostic.
Elle m’a posé des questions sur ma famille, pour le côté héréditaire. Sa première erreur : prendre des « je ne sais pas » pour des faits. C’est-à-dire qu’en voulant établir si des membres de ma famille, surtout mes parents, souffraient du SED, elle a pris mes « je ne sais pas » pour un « non ». Parce que je ne sais vraiment pas si d’autres membres de ma famille en souffrent ou en ont souffert. En fait, je crois que oui, du moins certains d’entre eux, à des degrés divers. Mais aucun n’a jamais eu le diagnostic. Et j’ai une famille qui communique très peu, alors il est très possible que mes grand-parents ou arrière-grand-parents aient eu des symptômes… et je ne le saurai jamais.
Deuxièmement, elle a utilisé l’échelle de « Beighton », qui mesure l’hypermobilité, dont je vous ai parlé dans la page sur le syndrome d’Ehlers-Danlos… mais seulement un point. Elle m’a demandé « penche-toi vers l’avant ». Sans plus. Je me suis penché. J’ai demandé jusqu’où elle voulait que je me penche… elle m’a dit « comme ça, c’est beau ». Je n’étais pas au maximum.
Elle ne m’a rien demandé de plus.
J’ai dit que j’avais des cicatrices qui guérissaient mal, sachant que c’était un point important… elle n’a pas voulu les voir.
Puis elle m’a dit que je n’avais pas le SED, parce que mes parents ne l’avaient pas et que je n’étais pas si flexible.
Sur le coup, je me voyais mal m’obstiner. J’avais mal commencé la rencontre…
Quelques semaines plus tard j’ai vu mon médecin de famille, qui m’a montré le résumé de la rencontre qu’a écrit la généticienne… elle y notait que je ne pouvais pas accomplir les éléments de l’échelle de Beighton (qu’elle ne m’avait jamais demandé de faire!). Quand j’ai vu cela, je l’ai dit à mon médecin… et lui ai montré que je pouvais les accomplir, ces mouvements… Mon médecin avait les yeux ronds! Devant cette preuve, elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi le spécialiste mentait… moi non plus… Elle m’a donné une référence pour un 2e avis.
Cependant, j’étais fâchée et j’ai décidé d’envoyer un document à la généticienne, avec les informations sur le moyen d’établir le diagnostic du syndrome d’Ehlers-Danlos et des photos de moi (accomplissant les mouvements du Beighton, par exemple). Le médecin m’a téléphoné et m’a redonné rendez-vous.
Je n’aurais pas dû accepter. Je n’ai pas réfléchi. Parce qu’un médecin qui vient de dire que tu n’es PAS atteint d’une maladie ne va pas, quelques semaines plus tard, se contredire à 100%. Question de crédibilité et d’égo.
Quand je l’ai vu, ma mère m’accompagnait pour m’aider à répondre aux questions sur les antécédents familiaux et mon enfance… et comme témoin!
Ma mère a confirmé qu’il n’était pas impossible que des membres de ma famille soient atteints à des degrés moindre que moi, mais qu’on n’en savait rien de plus… encore une fois, la spécialiste a pris cela pour un « personne d’autre n’est atteint ».
Cette fois, elle m’a passé le Beighton au complet… et chaque fois, elle déterminait que j’entrais dans la catégorie « hypermobile » mais « de justesse ».
Elle n’a PAS pris en compte que pour le diagnostic, le Beighton doit inclure l’hypermobilité « présente ou passée »… que j’avais 30 ans et avait subi de nombreuses blessures.
Elle n’a pas, encore une fois, voulu voir mes cicatrices.
Finalement, du bout des lèvres, elle a admis que je répondais à suffisamment de critères pour obtenir le diagnostic, théoriquement… mais que selon elle j’étais borderline. Elle a dit qu’elle pouvait me « donner » le diagnostic, si je pensais que ça pouvait m’aider dans le traitement que je recevrais, mais qu’elle y croyait plus ou moins. Elle m’a dit « Mes autres patients qui ont le syndrome d’Ehlers-Danlos pourraient tous avoir leur place au Cirque du Soleil tellement ils sont hypermobiles, tu es loin d’être comme eux ».
Je n’ai pas insisté et j’ai dit que oui, ça m’aiderait, et merci.
Il s’agissait d’un cas d’égo, mais aussi d’ignorance… parce qu’une maladie comme le SED a beau être génétique, il n’est pas nécessaire que ses parents en soient atteints (même si c’est habituellement le cas). Il est courant que d’autres membres de la famille ne soient pas atteint au même niveau comme il est possible que ce soit une mutation spontanée. Mes parents peuvent m’avoir transmis le gène fautif sans que le gène soit actif chez eux.
De plus, depuis quelques années le Beighton est de moins en moins utilisé dans le diagnostic du syndrome d’Ehlers-Danlos, entre autre parce qu’il ne caractérise l’hypermobilité que de quelques articulations, et que souvent les gens atteints du SED ont surtout de l’hypermobilité dans les petites articulations (ex. phalange du doigt). Beaucoup sont incapable de faire le premier point de l’échelle : toucher le plancher avec la paume de la main! (moi je peux, par contre). Sans oublier que, comme j’ai dit plus haut, elle n’a pas pris en compte le fait que PAR LE PASSÉ mon Beighton était beaucoup plus haut… et que le diagnostic ne repose pas sur « beaucoup plus flexible ». On fait le mouvement ou on a x° et on obtient un point, ça s’arrête là. Un autre médecin pourrait même conclure qu’en prenant compte de l’ensemble des symptômes, des articulations « atteignant presque » les critères du score de Beighton serait suffisant! Elle a décidé de faire l’inverse.
Pour ce qui est de l’élasticité de la peau, que la généticienne a testé ce coup-ci, et décidé que je n’avais pas la peau très élastique… c’est possible, et je sais qu’il y en a qui ont la peau beaucoup plus élastique que moi parmi les personnes atteintes du syndrome d’Ehlers-Danlos… mais c’est un critère très subjectif… nulle part je n’ai trouvé de mesure standard (« il faut que la peau s’étire de minimum 2cm » etc). C’est un des critères qui est présentement remis en cause.
En bref, ce médecin connaissait le SED… mais pas dans le détail, et elle appliquait des critères diagnostiques de la mauvaise façon. Et comme quelqu’un m’a dit récemment : bien sûr que ses autres patients étaient hyper-flexibles… si elle ne considère que ceux-là pour le diagnostic! C’est un cercle vicieux.
C’est à cause de son ignorance que je me retrouve aujourd’hui avec un diagnostic que je peux utiliser, oui, mieux que simplement un « auto-diagnostic »… mais sans le test génétique qui permettrait peut-être de déterminer si j’ai un des types plus sévères de la maladie.
Parce qu’elle était tellement convaincue que je n’en souffrais pas, ou ne voulait tellement pas l’admettre, et n’avait tellement pas envie de me revoir… elle ne m’a pas prescrit ces tests, qui sont pourtant la norme une fois le diagnostic de syndrome d’Ehlers-Danlos établi.
Et c’est ainsi que je termine ce recueil d’anecdotes. Je vais sûrement en raconter d’autres ici et là, mais c’est plutôt déprimant de tout regrouper ainsi…
Cependant ça fait la preuve qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, que les médecins ne sont pas des dieux infaillibles. Il faut prendre sa santé (et celle de ses enfants, le cas échéant) en main. Il ne s’agit pas de se croire plus intelligent, mais la personne qui connaît le mieux notre corps, c’est nous, qui y vivons 24/7.
[jetpack_subscription_form]
Eh oui il y avait matière 😉
Pour te / vous conforter, en France pas mal de patients refusent de faire un test génétique (biopsie de peau + prise de sang que j’ai eu personnellement ) parce que si ça revient négatif ça pourrait remettre en cause le diagnostique… Et oui mais comment faire avancer la recherche sans matériel? bref…
Heureusement que nous sommes tous assez fort pour dire que oui quelque chose cloche et oui il faudrait peut-être chercher un peu plus que nous dire « c’est dans la tête » « il est impossible de se blesser en mettant son pull!! » etc…
Pleins de courage et merci encore une fois pour tes articles qui sont à la fois sérieux et pleins d’anecdotes sympathiques 😉
Merci pour ce petit mot 🙂
Toi aussi tu t’es blessée en mettant un vêtement? haha
Je me suis aussi posé la question, à savoir si je me retrouverais avec un diagnostic moins pris au sérieux en cas de test négatif… mais je ne crois pas… probablement pas plus que maintenant, sans test du tout. Pas en sachant que les tests ne sont pas fiables à 100%. Et comme tu dis, surtout, il faut pouvoir aider la recherche!!!